Plaidoyer pour l’érotisme en jeans
Il y a un truc qui m’a marquée lors de ma lecture du dernier recueil de La Musardine auquel j’ai participé, alias Osez 20 histoires de candaulisme et qui est l’assez forte présence de ce qu’on appellera un « érotisme bourgeois », c’est à dire avec des protagonistes bénéficiant d’une belle situation sociale, des descriptions des vêtements, sous-vêtements et chaussures luxueuses de ces dames (ambiance porte-jarretelles, soie et Louboutins), des descriptions de beaux salons, de grandes entrées et chambres, voire quelques approches où c’est carrément monsieur qui travaille et madame qui reçoit les invités en porte-jarretelles sous sa robe alors qu’elle sort un rôti du dimanche du four.
Alors attention, je ne critique pas érotisme-là. Du tout. J’en ai moi-même écrit (de la mise en avant d’un certain « strass » dans l’érotisme, en tout cas) et on reconnaîtra que c’est un érotisme efficace. Par ailleurs, vu le sujet du recueil, c’est tout à fait compréhensible d’avoir exploité cet érotisme-là (monsieur offrant madame à ses invités, on l’imagine plus dans un salon bourgeois avec une « femme de » en dessous de soie, c’est sûr).
Ce recueil est bien, d’ailleurs : j’ai trouvé notamment intéressant le fait que la plupart des auteurs aient choisi d’aborder ce qui fait que le candaulisme peut plaire, et de manières diverses. On a donc des approches différentes de ce qui fait que les membres d’un couple puissent se diriger et s’épanouir dans cette sexualité-là.
Cependant, et c’est une réflexion qui m’est revenue alors que je le lisais, plus le temps passe, plus je me rends compte que cet « érotisme bourgeois », que l’on peut voir dans certaines histoires, donc, m’ennuie.
Vraiment.
Je crois que c’est beaucoup lié au fait que je suis une lectrice d’érotisme (j’en écris, j’en lis…), alors, forcément, les schémas qui reviennent tout le temps… Et puis c’est aussi une question de rapport aux éléments de luxe. Si je n’ai jamais écrit de romance/érotisme avec des héros riches ou vivant dans l’opulence (les miens vivent plus souvent chichement), ce n’est pas pour rien : c’est que ça a un effet zéro sur le plan de l’attrait, me concernant. Voire, suivant l’accent qui est mis dessus, ça aurait tendance à me faire grommeler (eh oui, Christian, tu es pour moi dans le négatif niveau sex appeal. C’est comme ça).
Non, hein ? Non. On est bien d’accord.
D’ailleurs, quand je vois la nouvelle que j’ai écrite pour ce recueil, mon héroïne est hyper critique envers tous ces aspects chez le couple qui la reçoit… (ce n’était pas réfléchi, juré) ce qui me fait penser que ça traduit beaucoup de mon sentiment à ce sujet, en fait.
Finalement, les nouvelles qui m’ont le plus plu dans ce recueil sont toutes des nouvelles à l’écart de cet érotisme bourgeois :
J’ai adoré Rapprochements de ChocolatCannelle, Non Pratiquante de Prax, La sélection de Juliette di Cen…
Les autres nouvelles sont bien écrites,mais celles-ci m’ont plus parlé.
Rapprochements met en scène un couple « normal » qui mange de la choucroute et visite des chateaux. Non pratiquante un autre couple « normal » dont la tendresse et les relations avec l’amie de l’héroïne sont touchantes. La sélection de Juliette di Cen prend place dans un lieu accueillant à 200% cet érotisme bourgeois, certes, mais elle y met justement en scène un grand noir venant du 93, décalé face à un monde qui ne lui ressemble pas, et une jeune femme qui transgresse les règles. Je pense vraiment que le fait que j’ai pu me reconnaître dans les histoires de ces personnages, même très éloignées de ma vie, bien sûr, mais pas autant que dans cet érotisme bourgeois, a dû beaucoup jouer.
Ça fait donc vraiment un moment, maintenant, que j’ai envie de lire des personnages qui vivent des histoires certes chaudes, troublantes, passionnantes et/ou bouleversantes, mais qui le fassent en jeans et t-shirt, avant d’aller boire une bière sur un quai et de rentrer chez eux en cherchant leur trousseau de clef au fond de la poche de leur blouson. J’ai envie de voir une autre humanité que cette bourgeoisie-là. Plus proche de moi, donc.
J’ai envie d’érotisme en jeans.
Même Jamie Dornan sait que le jeans lui va bien mieux que la cravate et l’hélico.
Allez, avoue, Jamie.
Quand je prends l’historique de mes romans publiés, je vois d’ailleurs une évolution régulière dans cette voie. J’ai toujours écrit des personnages qui me ressemblaient, mais les cadres ont eu, eux, plus ou moins de strass. Entre L’initiation de Claire qui comporte un club très classe à la Eyes Wide Shut et Pour te faire craquer qui met en scène une bab’ et un chômeur dans une vieille baraque d’Ardèche, il y a un écart, ce qui ne m’empêche d’aimer toutes mes histoires, ceci-dit.
Et c’est exactement ce que je fais dans Hard (que je prépublie actuellement. Passez sur Lemon laboratory pour le lire). Cette histoire, c’est vraiment l’aboutissement de cette envie d’autre chose que cet érotisme bourgeois que j’ai fini par développer avec les années.
J’en ai marre de lire les descriptions des sous-vêtements de madame.
J’en ai marre des grandes baraques, j’en ai marre des mecs en costard, j’en ai marre des étreintes sur le canapé en velours…
Dans Hard, l’héroïne, les héros, les lieux, l’univers même… Tout m’est familier. Dans les scènes de sexe, on enlève le jeans et la culotte, pas la robe de soie et les bas-résilles. Les personnages ont un taf ou glandent, un appart’ sympa ou un logement tout pourri de jeune sans le sou…
Et, sérieux, que ça fait du bien !
Je ne me suis jamais sentie aussi libre dans l’écriture d’érotisme et être moi, aussi, plus moi, que depuis que j’ai décidé de dire m*** aux strass. Je sais que c’est moins grand public. Clairement. Mais je m’en fous. Des romans érotiques avec des héroïnes en porte-jarretelles et des héros golden boy, il y en a des tonnes, il n’y a pas besoin d’y en avoir plus. Et je ne vais pas dire non plus que je n’en écrirai plus, parce que le plaisir est dans la diversité et que tout est cool et sympa à écrire, mais je peux dire que je suis vraiment contente de m’être débarrassée de ce qui me semblait surement être une nécessité, inconsciente, dans l’écriture de l’érotisme : de mettre un certain lot de paillettes.
D’ailleurs, ma prochaine nouvelle à paraître chez la Musardine (pour le recueil suivant) est tout à fait dans cet esprit : des jeunes, du camping, des bières et du saucisson consommés en se serrant les uns contre les autres et en regardant l’océan. Tout ce que j’avais envie d’écrire (et si si, ça parle bien de sexe).
Bref,
On s’en fout, des paillettes.
On veut des héros qui nous ressemblent.
Toi aussi, viens dans le côté obscur. Écris de l’érotisme en jeans
Trooop!!!
Je ne connaissais même pas ce mot, le « candaulisme »… LOL Perso, je ne lis pas trop d’érotique, mais je dirais que j’ai le même genre de réflexion pour la romance au sens large, où dominent encore les personnages financièrement aisés, voire très aisés; ou, à tout le moins, c’est ce qui est désigné comme étant « désirable », à travers par exemple le héros qui va tirer l’héroïne pauvre de sa misère (j’aurais aussi énormément de choses à dire sur la représentation de la pauvreté en romance…), ou bien le héros ou l’héroïne qui vont se tirer tout-e seul-e de leur misère grâce à une idée business de génie (là aussi, image biaisée du monde des affaires et de l’entreprise, à mon avis)… Bref, c’est toujours là qu’on finit, c’est l’aboutissement, c’est comme une composante nécessaire du HEA.
En tant que lectrice, si c’est bien fait, je m’accommode quand même d’un peu toute sorte de chose. Mais, en passant du côté de l’écriture, je m’aperçois comme toi que j’ai beaucoup de mal à écrire ce genre de personnage, parce qu’ils ne m’intéressent pas, ou ne me semblent pas « vrais ». Ou alors… il faut que je les déchoie d’une manière ou d’une autre, pour qu’ils finissent plus conformes à mon idéal. Dans mon dernier texte, une fois n’est pas coutume, j’ai écrit un héros de classe moyenne aisée, avec costard et tous les attributs habituels. Je ne sais pas si ce sera apparent à la lecture, mais mon intention était d’y infuser une critique sous-jacente (mais bienveillante, car je l’aime, mon héros!) de sa vie et de ses « problèmes de riche »… et, évidemment, il va devoir sortir de toutes ces bêtises pour mériter son HEA.
Enfin, il y a toujours la possibilité de démythifier ce qu’est le « strass », le luxe, etc. C’est quelque chose qui m’intéresse aussi. Par exemple, une de mes futures héroïnes est mannequin, mais je n’ai pas l’intention de vendre du fantasme pour autant… J’ai envie d’écrire ça parce que c’est ça aussi, la réalité! Une de mes amies proches a été mannequin chez Ford; ma sœur aussi a été mannequin à Montréal et à Singapour, et… elles sont des filles normales, avec des problèmes normaux, comme tout le monde! (Enfin, si tant est que quiconque soit « normal »…)
Voilà, désolée d’avoir pris tant d’espace pour parler de moi… Je vais de ce pas jeter un œil à tes nouveautés; ça m’a bien donné envie! (Entre cet article et celui de Jo Ann pour un « héros (plus) banal », je crois qu’on devrait monter un club! ;-))
Ha ha, il faut que j’aille lire l’article de Jo Ann, alors. 🙂
Oui, même combat dans la romance. Après, ça fait rêver les lectrices, c’est cool, mais que de sur-représentativité, du coup. Je me demande si, comme dans l’érotisme, ce n’est pas un truc que s’imposent les autrices, en fait : de rajouter du strass pour rendre leur histoire plus susceptible d’accrocher les lectrices. Sauf qu’il y en a chez qui ça ne marche voire que ça fait grognouter (et je te lirais bien aussi ^^).
En même temps, pourquoi ça fait rêver? Est-ce qu’à un moment, il n’y a pas un léger effet « lavage de cerveau », où on nous a tellement dit partout que c’est ça, le rêve, et pas autre chose, qu’on le pense sans l’avoir réellement choisi… Et sinon, oui, tu parles de cette sorte d’autocensure dans ton article, et je l’ai ressentie aussi. Mais je crois qu’au final, pour moi, ça devient plus souvent un détournement des clichés qu’une simple répétition. Même si c’est risqué en soi, et je ne veux pas non plus tromper les attentes des lectrices, mais j’aime bien l’idée qu’on part d’une situation initiale un peu cliché, où les lectrices vont se sentir en terrain connu, familier, et puis au fur et à mesure de l’intrigue, on complexifie et on change ça subtilement, jusqu’à les amener quelque part où elles ne s’attendaient pas à aller… Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens de l’extérieur, les codes ne sont pas une prison qui nous obligerait à écrire toujours la même chose. Ce sont des balises qu’on est libre de réinterpréter.
Je partage tout à fait ton goût pour le détournement de cliché. 🙂 C’est tellement sympa de le faire ! Pour plusieurs raisons : pour de l’humour, pour une approche critique, pour emmener le lecteur à s’interroger sur ce qu’il apprécie dedans et lui proposer autre chose… C’est toujours intéressant et ça peut donner quelque chose d’assez riche, finalement.
Et je n’ai pas réussi à commenter l’article de Jo Ann (#bug ou je ne sais quoi) mais je l’ai lu et il était très intéressant.