Écrire une œuvre génialissime ou un livre qui se vend ? Ou le conte de l’auteur qui a vendu son âme, dans Hyperion
Par Valéry K. Baran.
– Vous voulez dire que vous ne voulez pas le publier ?
– Pas du tout, fit mon éditrice en riant. Vous avez fait gagner des milliards à (notre maison d’édition). Nous le publierons donc. Simplement, ça ne se vendra pas. (…)
– Écoutez, lui dis-je. Je vais prendre quelques semaines pour fignoler mes Cantos et y mettre le meilleur de moi-même.
– Comme vous voudrez.
– Je suppose que vous avez l’intention d’y pratiquer des coupures comme la dernière fois ?
– Pas du tout. Vous pouvez écrire tout ce que vous voudrez.
Je battis des paupières.
– Vous voulez dire que je peux conserver les vers libres ?
– Naturellement.
– Et les passages philosophiques.
– Ne vous gênez pas.
– Les recherches d’écriture expérimentale ?
– Bien sûr.
– Vous l’imprimerez tel qu’il est ?
– Absolument.
– Et vous dîtes qu’il n’y a aucune chance pour que cela se vende ?
– Pas la plus petite chance.
Dans le tome 1 d’Hypérion, il y a un passage traitant de l’édition qui m’a énormément amusée. Le héros, H. Silenus, un poète maudit, écrit un recueil de poèmes absolument géniaux qui, publiés par une belle maison d’édition dans un contexte propice et redécoupés pour plaire au lectorat ciblé, se vendent à des milliards d’exemplaires (on est dans un monde futuriste avec société multi-planétaire) et propulsent le héros dans un vedettariat massif et une opulence financière décadente.
Puis il en écrit un second.
Aux dires de son éditrice, il est merveilleux, parfait, un chef d’œuvre… Elle en lâche même des larmes d’émotion en finissant de le lire. Elle lui assure pourtant son échec à venir en matière de ventes, malgré tous les moyens promotionnels qu’elle y mettra, et c’est effectivement ce qu’il arrive à son recueil, en plus de se faire défoncer par la critique. Derrière, acculé par les nécessités financières, H. Silenus acceptera d’écrire la suite de son premier succès, cette fois en prose banale, avec la longueur des phrases et le contenu des chapitres calculés pour les masses, des absurdités et incohérences à la pelle, des clichés ad vomitum et un couple lascif en couverture avec décolleté pour madame et muscles apparents pour monsieur qui n’a absolument rien à voir avec le contenu du roman (et ça cartonne. Il en écrira 7 autres tomes, avant de péter les plombs).
Ce n’est pas difficile d’écrire à l’abattage. Entre La Terre qui meurt II et La Terre qui meurt IX, six années standard s’étaient écoulées assez paisiblement. Les recherches à faire étaient minces, les intrigues issues d’un livre de recettes, les personnages étaient en carton, la prose sommaire et les loisirs abondants.
Ça me ramène à des interrogations que l’on a toujours, je crois, lorsque l’on publie : J’écris quoi ? Ce que je veux ? Ce qui est attendu ? Ce qui est facile ? Ce qui marche ? Ce qui va se vendre ou ce que, moi, au fond de moi-même, j’ai vraiment envie de voir publié sous mon nom ? Ce n’est pas facile d’écrire un roman en sachant très bien que, de par son thème, son sujet, son style littéraire, sa construction, son époque… il n’a quasi aucune chance de rencontrer son public. C’est très dur de passer des mois, des années sur un roman, d’y mettre toutes ses tripes et toute son âme, pour le voir se vautrer quand d’autres bouquins usant de recettes faciles vont cartonner.
J’ai vraiment trouvée amusante l’histoire de ce personnage qui se perd complètement dans l’écriture facile et de piètre qualité alors qu’il est capable de pures merveilles, dans l’écriture au kilomètre pour rester productif alors qu’il a passé 10 mois de sa vie rien que sur la correction de son recueil de poèmes (qui s’est vautré)… Il finira par claquer la porte de son éditeur, se perdre dans l’alcool et la démesure, et par chercher sa muse perdue dans un jusqu’au boutisme total pour vaincre les années de page blanche qui l’accablent désormais.
Bilan ? Rien. Je n’ai pas écrit cet article pour faire part d’une quelconque manière de mes lumières (qui, à côté du récit de Dan Simmons, sont bien assez ternes pour que je les laisse où elles sont, d’ailleurs), mais juste parce que j’avais envie de partager ça. Je sais que ça parlera à plusieurs de mes contacts, lecteurs ou auteurs.
Fait amusant, toutefois : non seulement le roman de Dan Simmons, soit celui dans lequel figure ce récit, est devenu un best-seller international, mais il a aussi reçu de nombreux prix prestigieux l’année de sa sortie, dont le prix du meilleur roman et du meilleur roman de SF, devenant par conséquence un contre-exemple de ce qu’il décrivait.
– Et comptez-vous écrire d’autres li-livres du genre de La T – T Terre qui meurt ?
– Pas si je peux l’éviter, Majesté.
– Je l’ai l-l lu, vous savez. C’est t-t très intéressant.
– Vous êtes trop aimable, Majesté.
– Fou-Fou Foutaise, H. Silenus. Ce qui est intéressant, dans ce livre, c’est la manière dont il a été ém-ém… émasculé pour n’y laisser que ce qui est mau-mau… mauvais.
J’avais alors souri, surpris de m’apercevoir que, finalement, j’allais très bien m’entendre avec Billy le Triste.