De l’homme objet dans l’érotisme
Par Valéry K. Baran.
(Note : cet article sera plein de photos de Tom Ford (tant pis pour la pub non voulue). Parce que personne n’a jamais mieux mis en scène en photo l’homme-objet que lui)
Au moment de ma vie d’autrice où je suis re-passée du côté de la littérature hétérosexuelle (comprendre mettant en scène des relations M/F – homme/femme – et non plus uniquement M/M – homme/homme), j’ai eu envie de rechercher ce qui m’avait fait tant apprécier les rapports M/M, jusque là, et essayer de le retrouver en écrivant du homme/femme : d’en sortir la substance pour le transposer en M/F. Pourquoi ? Parce que je suis une femme et que je ne veux pas passer mon temps à chercher ailleurs (en tant qu’autrice) quelque chose que je n’aurais pas su trouver dans ma propre sexualité.
Et j’en suis arrivée à cette réponse :
Le concept d’« homme objet »
Je sais ce que j’aime dans le M/M : je ne suis pas (ou que peu) une lectrice qui se projette dans les personnages qu’elle lit. J’éprouve un intérêt bien plus fort à les « observer », à me laisser fasciner par eux, souvent. C’est l’une des raison pour lesquelles le porno n’a jamais su trouver mon intérêt (euh… il est où le mec, là ? Et on voit où ce qu’il ressent ?). Et c’est l’une des raisons pour lesquelles le M/M me plait, en tant que lecture érotique : parce que j’ai un accès direct aux pensées, au ressenti, et au plaisir de l’homme. Et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles je n’accroche pas spécialement aux personnages type « oie blanche » et aime les personnages atypiques, surprenants, qui me font me poser des questions et aiguisent ma curiosité.
Sur cette photo, qui est l’objet ? La femme ou l’homme ?
Et donc, dans cette curiosité à observer les personnages, et en particulier les personnages masculins, j’éprouve un attrait très poussé pour la notion d’homme-objet, c’est à dire non pas le personnage-jouet déshumanisé-à qui il va pouvoir être fait n’importe quoi (surtout pas, merci bien !), mais l’homme que l’on observe, l’homme qui constitue, lui, le spectacle du rapport sexuel, l’homme aussi qui se donne, qui s’offre, qui laisse l’autre devenir maître de son plaisir… Cette thématique de l’abandon est une thématique qui me passionne, d’ailleurs, et que j’explore fréquemment en tant qu’autrice d’érotisme. Je l’aime autant en M/F qu’en M/M, mais je l’aime particulièrement lorsque c’est l’homme qui est le personnage s’offrant, parce que c’est lui qui possède le dessus sur le plan physique. C’est généralement lui le plus fort, lui qui pourrait faire plier l’autre physiquement s’il le voulait, lui qui possède les rênes… et lui qui les abandonne à l’autre, alors, dans une notion de « don » qui atteint là un niveau extrêmement élevé.
C’est quelque chose que l’on peut retrouver un peu partout dans mes M/M (forcément, l’un des deux personnages est toujours dans le « don » , physique, de lui à l’autre), mais aussi dans mes M/F :
- Dans Un corps qui danse, par exemple, Flavio s’offre physiquement au regard de Liz par l’intermédiaire de son appareil photo, et lui offre une entrée nette dans ce qui touche à son intimité sexuelle,
- Dans Pour te faire craquer (sorti également dans le recueil Des romances et des mots sous le titre de Emporte-moi), Romain est, du début à la fin de l’histoire, l’objet sexuel de l’histoire : c’est Charlie qui le cherche à ce sujet, elle qui le provoque, elle qui l’observe et s’accapare sans cesse tout ce qui touche à sa nudité, jusqu’à aller capturer les expressions de son plaisir,
- Dans L’initiation de Claire, si Mathieu a le pouvoir d’une manière particulièrement puissante, certes, il reste toutefois ambigu, en se donnant parfois de manière surprenante, en représentant celui dont l’on veut voir les expressions de plaisir, celui que l’on veut posséder, comme on peut être fasciné en voyant un animal sauvage rentrer ses griffes pour se laisser câliner… et, plusieurs fois, Claire prendra, elle, le pouvoir, pour jouer de la « bête » qui s’offre à ses doigts.
Il y a vraiment une notion d’homme offert, objet, qui met son corps et son ressenti à disposition, non pas parce qu’il ne peut pas faire autrement mais parce qu’il le veut : parce que c’est un cadeau qu’il fait, qui me passionne totalement.
J’avais d’ailleurs été stupéfaite en voyant il y a quelques temps une interview d’Octavie Delvaux, l’autrice de Sex in the kitchen, expliquant ce qu’elle aimait dans la domination de la femme sur l’homme et qui reprenait finalement exactement ce que j’aime dans le M/M ou le M/F avec notion d’homme-objet sexuel : cette question du don de l’être le plus fort physiquement à celui le plus faible des deux.
Ce qui ne m’empêche pas d’aimer aussi la « femme-objet » (de désir : pas de support à lampe, encore).
Oui, je sais que cette photo a été communément condamnée comme étant sexiste, mais moi j’aime bien.
Reste la question du pourquoi ? : pourquoi vouloir traiter en M/F quelque chose que je traitais déjà en M/M auparavant et qui en découlait naturellement sans avoir besoin de construire quoi que ce soit à ce sujet ?
- Parce que je suis une femme, d’une part, comme je l’ai dit, et que c’est important pour moi de rester proche de ma propre sexualité, de femme, lorsque j’écris (je n’entends par là ni mes propres pratiques sexuelles, ni mes propres fantasmes qui appartiennent à ma vie personnelle, mais je parle de mon activité d’autrice, merci),
- Parce que je n’aime pas céder à la facilité, que c’est un défi pour moi de ramener dans un rapport M/F justement ce qui me plait dans le M/M, et que je ne veux pas me contenter d’aller chercher ailleurs quelque chose que je serais incapable de ramener à moi,
- Et parce que je crois que c’est intéressant d’ouvrir le M/F à d’autres types de rapports, d’interactions, de dynamiques entre les personnages, que les rapports si souvent codifiés homme dominant/femme soumise. Non pas que l’on ne puisse pas écrire ces derniers : j’aime aussi cette dynamique (d’une certaine façon) et, dans L’initiation de Claire, Mathieu est d’ailleurs clairement le personnage dominant. Mais on peut pousser plus loin le rapport. Le jeu des dons de soi et possessions de l’autre peut se faire de manière plus complexe, plus « surprenante », oui aussi (on en revient à ce que je disais au début). On peut faire bouger les lignes. Même juste un peu, même temporairement… On peut apporter un piquant inattendu. Éveiller une ambiguïté troublante.
Bref. Homme-objet, quoi.
Sinon, je ne dis pas que ce soit facile à faire… Je me souviens avoir beaucoup tâtonné au début et c’est vraiment parti d’une volonté : d’un travail à faire sur moi, autant personnellement sur les raisons pour lesquelles j’appréciais certaines dynamiques plus que d’autres et mes limites personnelles, qu’en tant qu’autrice sur la façon dont je pouvais tirer ça pour l’exploiter dans l’écriture. Mais c’est vraiment intéressant à faire. Le thème de l’homme objet est donc, comme d’autres… (on parlera des autres, un de ces jours), un thème qui ressort finalement assez fréquemment dans mes récits.
C’est intéressant ce que tu dis surtout par rapport au M/M que tu veux transposer en M/F. L’homme-objet est un concept qui ramène aussi la femme et ses désirs au centre de la romance, en tant que personnage qui agit et qui s’assume.
En effet. 🙂 Je me souviens d’un article qui m’avait fait bondir, il y a quelques années, disant que les hommes appréciaient le porno parce qu’ils pouvaient y avoir une posture de « voyeur », et que les femmes l’appréciaient parce qu’elles pouvaient s’y projeter : à aucun moment, il n’était envisagé le fait que les femmes pourraient aussi aimer avoir ce rôle de « voyeuses » et les hommes se projeter dans le personnage masculin. Le concept l’homme-objet, c’est se réconcilier avec ce deuxième aspect du désir féminin, du coup.
Nous avons une sensibilité commune sur ce point, et je crois qu’il s’agit de quelque chose qui va au-delà de l’homme-objet. Un amour immodéré pour l’homme en tant qu’être fascinant, et différent de la femme que nous sommes.
Le fait de travailler quotidiennement dans un milieu d’hommes donne quelques pistes, mais tout autant que les femmes sont un mystère quasi insondable pour eux, une partie de leur mode de fonctionnement nous échappe totalement.
Le succès du MM est une démonstration de cette fascination. On a enfin ouvert aux femmes les pensées de l’homme. Deux hommes ensemble, c’est la garantie d’avoir deux fois plus de testostérone sur papier glacé, ce qui titille notre imaginaire.
Le fait que le public du MM soit majoritairement féminin (à différencier de la littérature gay) n’est donc pas un hasard. Il y a de la testostérone et de la romance. Bingo !
A l’inverse, la romance FF intéresse un public bien plus restreint, partageant cette orientation sexuelle, la plupart du temps. La femme hétéro n’y trouve pas d’intérêt dans le sens où elle ne ressent pas de désir pour une autre femme, ce qui rend sa projection au sein du couple moins évidente, d’autant qu’il y manque un élément symbolique de l’homme : la pénétration phallique avec éjaculation (signe extérieur du plaisir de l’autre).
L’homme fascine la femme hétéro (je généralise, mais les réactions du public le plus actif dans le MM me confirment cette impression).
En lui permettant de s’immiscer dans sa psyché et encore plus loin, dans sa façon de ressentir le plaisir, on lui donne le pouvoir de contrôler le propre désir qu’elle ressent pour l’homme.
Et je partage ta façon de concevoir les personnages, étant moi-même une adepte de l’abandon masculin entre les mains de la femme qu’il aime ou désire. Il y perd en « autorité » ce qu’il y gagne en émotion. Quoi de plus sexy qu’un mâle alpha qui accepte d’alterner les rôles dominé/dominant ? Il permet à sa partenaire de jouer à égalité, dans un schéma de couple adulte et respectueux de l’autre.
C’est une façon de s’approprier le désir de l’homme, c’est vrai : son désir, son plaisir, son ressenti…
Oh et ça me rappelle que j’avais adoré ta nouvelle dans « 20 histoires de sexe et de pouvoir », à la Musardine, exactement pour la manière dont tu as traité ça, justement : le rapport de pouvoir qui parait évident dans un sens, puis qui oscille, s’inverse, oscille encore… Et l’homme qui se donne finalement d’une certaine façon à la femme !
J’aime beaucoup ta réflexion dans cet article. Je ne m’identifie jamais aux personnages donc comme pour toi, le m/m me touche. J’aime aussi beaucoup cette notion de « don » de soit et j’aime particulièrement la notion de « c’est cette personne qui me fait tourner la tête » quel que soit son genre; qu’on retrouve assez souvent dans le m/m avec un personnage hétéro ou bi qui va craquer sur un personnage du meme sexe que lui. Et qui au final.. va se donner à son partenaire souvent encore plus que le personnage initialement homo.. je ne sais pas si je suis claire;..
bref chapeau en tout cas pour retransposer ça dans le m/f et j’avoue que tu m’intrigues de plus en plus avec L’initiation de Claire^^
J’avoue beaucoup aimer le sujet de la bisexualité, aussi, ou du personnage s’étant cru dans une orientation et que la rencontre avec quelqu’un en particulier va forcer à accepter de suivre la part de lui-même qu’il avait laissée enfouie jusqu’à présent…
Et, si tu lis L’initiation de Claire, tu me diras, alors ? Ca m’intéresserait d’avoir ton avis à ce sujet, justement. 🙂