Écriture : ce que m’ont appris mes années de fanfiction en matière de personnages
Par Valéry K. Baran.
Comme vous le savez probablement si vous avez déjà lu quelques articles de ma part par ici, j’ai longtemps écrit de la fanfiction. Je n’éprouve pas de gêne à en parler, en tant qu’auteure ; j’en suis même fière : je n’ai pas débarqué dans l’édition en ayant aucune expérience de l’écriture auparavant, ou des interactions avec les autres auteurs/lecteurs, j’avais déjà un bagage sympa et vécu une expérience absolument formidable.
Je pourrais faire un article sur « Ce que m’a appris la fanfiction » tout court, mais ce n’est pas ce que j’ai envie d’aborder ici : je pense vraiment au socle particulier sur lequel j’ai fait mon apprentissage, soit mon fandom de référence (c’est à dire l’œuvre m’ayant servi de base pour écrire) et même mon OTP de référence (One True Pairing, comme on dit en anglais : les deux mêmes personnages sur lesquels j’ai eu l’habitude d’écrire), parce que je crois vraiment que ce socle-là a fait, en partie bien sûr, ce que je suis aujourd’hui en tant qu’auteure. Du moins, peut-être aurais-je été différente si j’avais fait mon apprentissage selon d’autres bases…
J’ai écrit sur un manga, en fait : un manga pour gamins avec plein de défauts mais dont les personnages m’ont pourtant fascinée suffisamment pour que je passe 5 ans de ma vie à écrire sur eux… J’ai passé tout ce temps à m’interroger en me demandant pourquoi cette obsession… ce qui m’arrivait, pourquoi est-ce que j’écrivais et réécrivais toujours sur ces mêmes personnages et combien de temps ce que j’avais pris pour une passade au tout début allait durer ? Ça me paraissait délirant et, aujourd’hui encore, malgré le fait que je sois passée à autre chose depuis, je continue à avoir ce sentiment sur cette période de ma vie : d’une obsession délirante que j’ai toujours eu du mal à expliquer.
Or, je n’ai jamais eu de réponse claire à ce sujet, mais je crois que la réalité, c’est que, peu à peu, ce n’était plus vraiment les personnages créés par un autre auteur que j’écrivais, en fait : c’était mes personnages. Je me les étais appropriés et je ne les écrivais d’ailleurs que dans une version légèrement déformée : la même, mis en version plus mature, la transposition « adulte » du dessin animé plus enfant, un peu comme cette version réaliste que j’ai vu récemment des personnages Disney, pour donner une image :
Ceci faisant qu’ils étaient devenus les miens.
Je crois, pour ça, qu’écrire sur un manga rendant cette appropriation plus facile : ce n’était pas une image réaliste que j’avais dans les yeux, ni dans la représentation physique des personnages, ni dans leurs attitudes (les comportements des personnages de mangas peuvent être très exagérés), et je n’avais pas non plus de style littéraire sur lequel m’appuyer. Tout était à inventer pour parvenir à l’approche réaliste qui m’intéressait et c’est justement ce qui a fait que, probablement, de personnages dessinés pour enfants, j’ai écrit ces personnages réalistes pour adultes : les miens.
Mais il y avait autre chose faisant que c’était eux et pas d’autres : parce que, malgré les défauts de ce manga, c’était des personnages complexes qui m’ont appris énormément en matière de développement de personnages. Je me souviens d’un passage de Nulle Part Ailleurs (l’émission, oui), vu il y a des années, dans lequel Gildas expliquait à De Caunes que son personnage de Ouin Ouin (le scout, pour celles et ceux qui s’en souviendraient) était un personnage riche parce qu’il pouvait tout lui faire dire, et c’est ce que j’ai toujours pu constater de l’un de ces deux personnages de mon OTP : pas mon préféré du tout, ce qui peut paraître paradoxal, mais j’ai pourtant quasi toujours suivi selon son point de vue parce que, avec lui, tout pouvait être écrit : le drôle comme le grave, comme le mature, comme l’enfantin, comme le léger, comme le profond… Et il a d’ailleurs fini par être l’un de mes préférés justement parce que je me l’étais approprié selon ma vision propre.
De cette expérience, j’ai retenu plusieurs règles en matière de personnages. Je ne les citerai pas toutes parce que je ne pense pas que je pourrais dresser une liste exhaustive, mais en voici tout de même quelques unes :
1. Un personnage passionné est un personnage beau
Oh, au fait, je n’ai pas encore cité mon fandom et mon OTP !
Si vous ne l’avez pas encore repéré en parcourant ce blog, c’est celui-ci :
Sasuke/Naruto, du manga Naruto
Un personnage passionné est donc un personnage beau.
Ça, c’est le personnage de Naruto qui me l’a appris. C’est assez amusant de constater que, lorsque j’ai commencé à écrire sur ce manga, ce n’était pas du tout ce personnage qui me fascinait : c’était son alter ego sombre, duel et torturé, soit celui de Sasuke. Et pourtant, j’ai quasi toujours écrit en prenant pour personnage principal Naruto. Je l’ai juste fait passer par un prisme le transposant d’une version pour enfants à une version pour adultes. Mais ce n’est pas rien de m’être toujours appuyée sur lui pour écrire parce que, en fait, je crois justement que c’est là le témoin du fait que ce personnage est finalement plus riche que celui de Sasuke. Pour plusieurs raisons mais la première est celle-ci : parce qu’il est passionné et parce qu’il vit sa passion à fond. Ça évoque forcément quelque chose en nous : cette envie de vivre nous-aussi nos passions pleinement, cette admiration pour ceux qui le font… C’est quelque chose de fort qui peut vraiment rendre des personnages magnifiques.
2. Un personnage aux multiples facettes est un personnage passionnant
C’est aussi quelque chose que j’ai toujours aimé dans ce manga et le deuxième point qui me fait considérer que le personnage de Naruto est un très bon personnage : la grande variété de ses traits de caractère. J’ai toujours admiré la façon dont, en se servant de ce personnage, l’auteur de ce manga parvenait à faire entrer de l’humour, soudain, dans une situation pourtant excessivement dramatique, du sérieux dans une situation décalée, de la force dans une situation légère… Écrire sur ce personnage m’a vraiment appris ça : écrire des personnages complexes, qui ne sont pas réduits à une ou deux facettes et pouvoir tout écrire à la fois. Ce n’est pas parce qu’on est dans une situation malheureuse que les personnages ne peuvent pas rire, ce n’est pas parce que les personnages se montrent courageux qu’ils ne peuvent pas faire preuve soudain de lâcheté… C’est parfois quelque chose qui me fait arrêter mes lectures, d’ailleurs : être confrontée à un personnage qui n’est que « auto-apitoiement », que « arrogance » ou que « certitudes »… C’est lassant, incroyablement réducteur et tout sauf réaliste. Les êtres humains ne sont pas comme ça. Les êtres humains rient, pleurent, souffrent, puis peuvent se moquer d’eux-même dans la minute qui suit, sont capables de sortir de grosses bêtises dans des situations lourdes et des paroles très profondes au milieu d’une situation légère. C’est ce genre de rupture qui, parfois, va rendre une phrase marquante : parce qu’elle n’appuie pas ce qui a déjà été dit, montré, vu, mais tranche pour apporter quelque chose d’humain et de fort.
3. Un personnage qui va au bout est un personnage fascinant
Ça, c’est le personnage de Sasuke qui me l’a appris, mais aussi celui de Naruto. Sasuke est marquant car il s’agit d’un personnage qui veut venger sa famille. Et venger sa famille veut dire tuer son frère, rien que ça, se séparer de ses amis, perdre tout ce qu’il lui reste, devenir un déserteur, rejoindre le camp des méchants, vendre son âme au diable pour obtenir la puissance qui lui manque… C’est ce thème-là qui, plus que tout, m’a fascinée dans ce manga, et qui a fait que je l’ai autant aimé. C’est un thème qui me touche particulièrement et c’est quelque chose que j’aime énormément : les personnages qui vont au bout, quels que soient les obstacles qu’ils peuvent rencontrer, quels que soient les bouts d’eux-mêmes qu’ils laissent derrière, et c’est ce qui m’intéresse le plus, d’ailleurs : cette faculté à accepter les pertes, à les déclencher, même, dans le but d’atteindre un objectif.
Et, bien sûr, tout ça, je l’ai exploité dans mes propres personnages.
Dans A un stade du plaisir, par exemple, le personnage principal, Josh, est un personnage passionné, et sa passion, le rugby, tient une part importante dans l’intrigue. Dans Un corps qui danse, Flavio est un personnage qui va jusqu’au bout : qui vit sa passion pour la danse sans entrave, jusqu’à devoir mettre des aspects de sa vie de côté. Dans L’initiation de Claire, Claire comme Mathieu sont des personnages complexes, pleins d’oppositions, de qualités et de défauts, de forces et de faiblesses, et exempts, chacun, de certitudes…
Bref, tout ça pour dire que je crois que, aujourd’hui, je suis l’auteur que je suis (en devenir, bien sûr : je parle de ça pour attester d’une orientation, pas d’un niveau ultime atteint et j’ai encore à évoluer ; ce ne serait pas drôle, sinon, d’ailleurs) parce que j’ai eu ce bagage-là, ou peut-être parce que j’ai réfléchi sur ce bagage-là : les deux sont bons. Ce vécu sur le plan de l’écriture m’a en tout cas énormément apporté en tant qu’auteur et écrire en particulier sur ces personnages-là (je ne décris pas les autres mais eux aussi ont des facettes intéressantes qui ont été riches d’inspirations et d’enseignements) a été une excellente école. Je m’en rends particulièrement compte avec le recul que j’ai depuis. J’ai appris l’écriture, dès le début, en me basant sur des personnages riches et complexes. C’est une chance ! Finalement, toutes ces années à écrire sur eux, ce n’était peut-être pas tant une obsession mais une recherche de justesse : de comment réussir à appréhender toutes leurs facettes en les faisant passer par mon prisme de réalisme et de maturité ?… Comment en faire « mes » personnages ? Et je crois que mes collègues ayant fait leur apprentissage sur le fandom Harry Potter, notamment, ont eu cette même richesse sur laquelle travailler.
Au-delà de l’aspect « histoire pour enfants » de ces œuvres, il y a vraiment eu cette complexité-là à laquelle se frotter et je dois dire que je suis vraiment contente d’avoir eu ce socle-là pour apprendre à écrire. Écrire aussi longtemps sur cette base m’a donné l’habitude d’écrire des personnages « humains », non réduits à quelques pauvres caractéristiques, et aux facettes variées. Et, pour ça, malgré le temps passé, malgré le fait que j’ai décroché il y a des années et des années de ce manga (bien avant, même, de cesser d’écrire des fanfictions, d’ailleurs), je garde toujours une tendresse particulière pour lui et ces personnages, pour ce qu’ils m’ont appris.
Le mot de la fin ?
Ne sous-estimez-pas l’importance de faire votre propre apprentissage.
Je vois tellement d’auteurs qui courent… Ne soyez pas pressés. Vous avez le temps. Vous n’êtes pas obligés de cartonner avec votre premier roman ou votre première nouvelle. Développez-vous, faîtes votre apprentissage personnel, prenez le temps de le faire, remettez-vous en question..
L’écriture a ceci de magnifique que la marge de progression reste toujours énorme et qu’on n’a jamais fini d’évoluer. La route est toujours longue et belle et large et enrichissante, devant. Autant en profiter !
Oh, et autre chose : ne reniez jamais vos inspirations. Vous n’avez pas besoin de les maquiller pour vous faire passer pour quelqu’un d’autre. Elles font partie de ce que vous êtes, quel que soit ce que vous pouvez en penser. Chérissez-les. 🙂
A reblogué ceci sur Sous la plume de Gossip Cocoet a ajouté:
Très bon article dans lequel je me reconnais pas mal !
Je me reconnais vraiment dans ton article, c’est fou, même si, en ce qui me concerne, étant multi-fandoms, j’avais plusieurs « obessions » (je pense en particulier à Sakuno dans Prince of Tennis, mon OTP IkkaYumi dans Bleach ou, pour revenir à Naruto, pour moi, c’était et ça reste toujours Anko). J’ajouterai, toujours en ce qui me concerne, l’un des autres me points me donnant envie d’écrire plutôt sur des personnages secondaires, c’est les nombreuses zones d’ombre qui peuvent exister sur ce ou ces personnages laissées volontairement ou non par l’auteur.
Pour conclure, je crois que pour moi aussi, les personnages étaient devenus, quelque part, les miens.
Excellent article ! J’aime vraiment beaucoup la conclusion, je peux te citer sur ce point? Sinon, comme Gossip Coco, j’ai eu tendance durant mes années de fanfiction à aller vers les personnages secondaires, justement parce que leur caractérisation laissait pas mal de zones d’ombre exploitables pour les développer dans un sens ou dans un autre.
Ne te gêne surtout pas pour reprendre ce que tu veux dedans. 🙂
Et oui, c’est intéressant, ce que vous dîtes toutes deux. Peut-être qu’effectivement, même en écrivant sur des personnages et un univers déjà créé par un autre, on cherche toujours à se les approprier et que ces zones d’ombres des personnages secondaires peuvent le favoriser…
Il est clair que la fanfiction apprend beaucoup de choses, surtout sur le plan de comment gérer un personnage. Qu’un personnage beau, n’est pas un personnage parfait. Et qu’un personnage a de bonne raisons d’agir, qu’il n’agit pas forcement avec bon sens, ni comment on l’aurait fait. Et sinon je suis d’accord on apprend toujours, encore et encore en écrivant. Et même en lisant, de bons et surtout de mauvais livres.^^ La dernière fois en regardant Ruquier le
samedi soir, j’ai appris un truc en écoutant Yann Moix. :p