L’initiation de Claire : de la fanfiction à l’originale
Par Valéry K. Baran.
Je fais un petit article là-dessus parce que je sais ça peut être un sujet interrogeant certains lecteurs. Et, comme je n’ai pas envie d’en faire un mystère, je donne ici les explications concernant mon inspiration et la petite histoire de cette fiction (parce que non, ce n’est pas juste un petit changement de noms de personnages pour créer une fiction originale de toutes pièces).
La fiction « L’initiation de Claire » est une réécriture d’une fanfiction que j’ai écrite il y a plusieurs années (et j’insiste sur le mot « réécriture » parce que vous n’imaginez pas les heures de travail que j’ai fait dessus… Non non. Vous n’imaginez pas).
J’ai commencé à écrire dans le milieu de la fanfiction. J’avais 27 ans, je venais de découvrir la fanfiction au hasard de l’obligation de rester au repos chez moi pendant une grossesse, et je me régalais, au point d’avoir envie de tenter, pour la première fois de ma vie, d’écrire des fictions, moi aussi. J’avais aussi lu avant pas mal de romans érotiques, bien sûr. De mémoire, je peux citer le célèbre Emmanuelle, Le boucher, divers recueils… Plus jeune, mon livre de chevet a longtemps été un recueil de textes classiques, par exemple : Littérature érotique du XXème siècle. J’ai lu aussi un certain nombre de bandes dessinées de ce genre. Le fameux Histoire d’O, qui aurait pu être une inspiration pour « L’initiation de Claire », je ne l’avais pas encore lu, mais j’en avais vu un film, même s’il m’est probablement resté dans la tête quand j’ai écrit cette histoire. Mais les lectures qui m’ont influencée lorsque j’ai écrit la première version de ce texte sont vraiment des fanfictions.
Ça fait depuis 2006 que j’écris des fanfictions et depuis 2012, maintenant, que je suis passée du côté de l’écriture de fictions originales, mais je me considère vraiment comme une auteur issue de ce milieu. Je me suis orientée dès le début vers la romance et l’érotisme. J’ai surtout écrit du M/M qui reste aujourd’hui encore l’un de mes genres préférés, mais j’aime beaucoup écrire sur des sexualités différentes. Et j’ai donc surtout écrit de la romance érotique, qui est là clairement l’un de mes genres préférés et aussi celui dans lequel je me sens le plus à l’aise.
Concernant la romance érotique, j’ai apprécié ce que j’ai trouvé dans la fanfiction, peut-être parce que la majorité des auteurs sont des femmes et que leur approche de la sexualité et de l’amour m’a parlé. Peut-être aussi parce que je n’étais tout simplement pas habituée à lire de la romance avec des scènes sexuelles poussées jusque-là : j’avais surtout lu de l’érotisme (« simple », donc, pas romance érotique). C’était en tout cas fortement lié à l’approche de la sexualité que je constatais être la plus exposée depuis des années dans les médias (bandes dessinées, romans que j’avais lus, et bien sûr l’immense industrie du porno que je n’aime pas mais dont on ne peut pas ignorer l’existence), faite de femme-objets et de peu de développement voire d’absence totale d’une approche psychologique et/ou sentimentale concernant les personnages. J’ai donc accueilli avec énormément de plaisir cette romance érotique que j’ai trouvée humaine, plaisante, qui m’a touchée, et que j’ai vraiment eu le sentiment de voir adressée à moi, femme. Par ailleurs, on a tous des sujets qui nous intéressent plus que les autres et ceux qu’on pourrait réunir sous l’expression de « l’entrée dans l’intimité des personnages » m’intéressent particulièrement. J’aime voir comment un personnage se comporte face à la nudité, par exemple, même hors contexte sexuel. J’aime le sujet de la pudeur, de l’exposition au regard de l’autre. J’aime voir ce que la sexualité montre d’un personnage, de sa relation avec un autre, comment un changement (psychologique, de relation…) peut survenir dans un rapport sexuel… Le fait de se dévoiler physiquement comme psychologiquement à l’autre est l’un des sujets que j’aime particulièrement développer, d’ailleurs.
Concernant ce texte en particulier, soit cette fiction sur le sujet du BDSM, il est très influencé par des fanfictions que j’ai lues à un moment donné, donc, dans le milieu anglophone. Il s’agissait d’auteurs étant, soit dans le BDSM dans leur vie personnelle, soit n’étant pas dedans, et j’avais été autant attirée et intriguée par ce type de récit que gênée par le fait que, là où certains éléments m’attiraient (le thème du don à l’autre, du dépassement de soi-même, de la confiance réciproque, du lâcher-prise…), d’autres me rebutaient totalement, et nombreux méritaient clairement une explication qui était absente ou insuffisante. Les écrits d’auteurs étant dans le BDSM étaient très facilement trash, avec des détails et des scènes très difficiles à soutenir ou très peu attrayants pour moi, mais abordaient plutôt bien la psychologie des personnages, même si généralement essentiellement celle du soumis (pour le dominant… moins facile !). Ceux d’auteurs n’étant pas dans le BDSM étaient très fantasmés mais peu réalistes ou, du moins, gérés de façon insuffisante sur le plan de la psychologie des personnages, avec des éléments incohérents ou mal expliqués, ou des clichés. A l’arrivée, il me manquait d’une part un équilibre entre ces différentes approches : je n’avais pas lue celle que, moi, j’avais vraiment envie de lire, et d’autre part, le point de vue du personnage dominant, quasi inexistant à chaque fois. J’avais, de plus, le désir de faire un travail pour essayer de décrypter ce qui, moi, me plaisait dans ce type de récit et voir si j’étais capable de le retranscrire. J’ai donc fait beaucoup de recherches, je me suis énormément documentée, et j’ai essayé de sortir ma version, à la fois « fantasmée » dans le sens où elle s’adresse justement aux lectrices curieuses par rapport à ce type de sexualité et donc pouvant alimenter un imaginaire attrayant à ce sujet, et à la fois « réaliste », dans les pratiques, et abordant avec une attention particulière la psychologie des deux personnages (dominé ET dominant). C’est vraiment un équilibre sur un fil très très fin que j’ai essayé de trouver.
… Sauf qu’à l’époque, quand j’ai écrit la première version de ce texte, j’écrivais des fanfictions. Et j’écrivais toujours sur les deux mêmes personnages d’un fandom, deux personnages masculins. J’avais vraiment mes habitudes et surtout mon petit cadre bien précis et rassurant dans lequel écrire. Je ne m’étais donc pas posé de question et avais repris ces personnages, faisant de cette fiction la première que j’écrivais faisant une entorse totale au respect des personnages et de l’univers de mon fandom (ce que, jusque-là, je mettais un point d’honneur à ne pas faire), puisque mis dans un rapport et un contexte faisant qu’ils n’avaient plus aucun rapport avec les personnages qu’ils étaient à l’origine.
Puis, le temps a passé et, plus tard, quand j’ai commencé à écrire des fictions originales (j’en avais déjà écrites plusieurs), est venue une période durant laquelle j’ai eu besoin de faire le point sur le rapport que j’avais eu avec la fanfiction. Il y avait une discussion, à l’époque, avec d’autres auteurs de fanfiction/dʼoriginales, sur ces auteurs qui avaient transformé une fanfiction en fiction originale (le phénomène Fifty Shades ayant déclenché une belle vague à ce sujet, souvent en autoédition), et, si j’étais alors plutôt critique à ce sujet, en parler avec eux m’a fait remarquer qu’il y avait un cas à part faisant qu’il n’y avait pas vraiment lieu de parler de transformation de fanfiction en originale : celui où, à l’origine, la fiction était déjà une originale qui n’avait, en fait, rien à faire en tant que fanfiction… et cette fiction, BDSM, que j’avais écrite rentrait exactement dans ce cadre. A l’époque où je l’avais écrite, il s’agissait probablement déjà, d’ailleurs, d’un pas de ma part du côté de l’écriture de fictions originales. Et ça m’est resté dans la tête, durant les mois suivants. J’aimais beaucoup cette fiction et je pensais déjà qu’elle avait un potentiel intéressant, un potentiel que j’avais peut-être sous-exploité en essayant de la faire entrer dans les petites cases de mon type d’écriture habituel. Je me suis demandé aussi si, en l’écrivant en M/M, j’étais allée au bout du processus que j’avais alors commencé et qui était de vouloir écrire un texte s’adressant aux lectrices comme moi, soit aux femmes, et pouvant leur parler réellement concernant leur curiosité au sujet de cette sexualité. J’avais en effet totalement construit cette fiction dans le but de permettre aux lectrices de se projeter dans le parcours du personnage principal, de les renvoyer à leur propre curiosité, à leurs propres craintes, à leur propre envie de découverte…
Finalement, deux ans après l’avoir écrite, j’ai décidé de la retravailler intégralement, avec d’autres personnages, vraiment originaux donc avec un vécu, une personnalité propre, etc., et en hétéro, pour voir ce que donnerait cette deuxième approche. Au total, ça a donné un travail de réécriture m’ayant demandé plus d’heures de travail que la version initiale (je ne conseille vraiment pas la réécriture de fanfiction en originale, si on fait un vrai travail approfondi à ce sujet. C’est plus de boulot que de partir directement sur une nouvelle fiction). Et j’ai continué à en faire des corrections derrière durant l’année pendant laquelle je l’ai laissée publiée sur le net. Autant dire que la fanfiction qu’a été cette histoire est désormais loin.
Puis, je me suis mis en tête de la proposer à une maison d’édition.
Je ne dirais cependant pas que j’étais claire à ce sujet : quand j’ai reçu le mail des éditions HQN-Harlequin m’informant qu’ils voulaient publier cette fiction, j’étais encore dans une profonde hésitation à ce sujet. C’est Karine Lanini, la créatrice et directrice éditoriale de la collection érotique (Spicy) d’Harlequin, qui m’a convaincue de la publier ainsi. Et aujourd’hui, je suis contente de ce choix. J’ai d’ailleurs envie d’en écrire une suite et, quand j’y réfléchis, je n’ai jamais envisagé de suite à cette fiction dans une autre version que dans sa version actuelle. Et je pense qu’il n’y a pas de meilleur indicateur que ces deux derniers éléments pour savoir si j’ai fait le bon choix. (EDIT : c’est depuis fait !)
Merci pour cette réflexion, ça me pousse à adopter un point de vue plus ouvert quant aux auteurs qui choisissent de retranscrire, justement, une fanfiction en originale – chose contre laquelle j’ai tendance à me braquer. Tu illustres un cas de figure où ta démarche est bien à l’opposé de ce que je reproche habituellement au principe (paresse et manque de respect face à son propre travail).
Et merci aussi de parler aussi librement de l’érotisme. Plus je lis tes articles et plus je me rends compte que je me décoince un peu sur le sujet, ce qui ne me fait pas de mal ! Il faut dire que tous les auteurs n’abordent pas le sujet avec autant d’intelligence et de recherche que toi. 😉
Merci beaucoup. C’est très sympa de ta part. 🙂
Je me suis fait de sacrés cas de conscience avec cette fiction, quand même, parce que j’avais la même opinion que toi, à la base. Mais oui, c’était vraiment un travail sur moi-même que j’avais envie de faire, en tant qu’auteur, et je te passe les détails de toutes mes hésitations, changements et retours en arrière. XD
Ceci-dit, je suis bien revenue sur ma réaction originelle de rejet, aussi. Enfin, tout dépend ce que donne cette réécriture. Quand je vois par exemple le gros succès des éditions HQN, soit la série Dear You qui est en fait une ancienne fanfiction Twilight, je me dis que c’est cool pour son auteur : c’est une jeune auteur (moins de 30 ans, à ce que j’ai vu), avant que cette fiction soit publiée par Harlequin elle avait déjà gagné leur concours de nouvelle de romance dans lequel seul onze textes ont été sélectionnés sur plus de 500, et ce, avec un texte totalement original (donc ça veut dire qu’elle sait largement écrire une fiction originale), les commentaires sur sa série Dear You sont très élogieux avec des lecteurs de tout âge ont l’air d’avoir vraiment adoré… Bon, je me dis que cette fiction mérite d’être là où elle est maintenant.
Mais j’ai aussi vu, à l’inverse, d’autres cas qui m’ont vraiment grincer des dents comme toi, soit parce que c’était un procédé qui était utilisé par fainéantise, comme tu le dis, soit parce que c’était tout bonnement une façon de rendre une fanfiction payante par des auteurs laissant les premiers chapitres de leur fanfic en ligne pour renvoyer ensuite les lecteurs sur cette version, ou alors vantant carrément sur leur profil le fait que c’était une fanfic dont ils avaient juste changé les noms des personnages pour que les lecteurs de fanfic aillent l’acheter.
Quant à l’érotique, c’est vrai que les auteurs ne s’expriment pas trop sur leur rapport à ce type d’écriture, peut-être. Je considère en tout cas que c’est un genre comme les autres, malgré toute la mauvaise image qu’il peut parfois avoir. ^^
Je me suis peu renseignée sur la problématique, mais ce que tu dis des pires cas ne me surprend pas du tout. Il y en a vraiment qui ne se gênent de rien… (Ça me rappelle l’histoire d’un imposteur qui avait carrément mis en vente sur Lulu une fanfiction qu’il n’avait même pas écrite lui-même en la faisant passer pour la suite de l’anime (Princess Tutu)… Donc même pas l’intelligence de changer les noms des personnages, évidemment. Internet, ce grand royaume du n’importe quoi.)
Je trouverai toujours ça dommage de voir une fanfiction convertie en originale, quelque part, mais c’est parce que je n’ai jamais eu de « dérapage » comme toi : une fanfic qui n’aurait pas dû en être une dès le départ. Toutes mes fanfics sont si ancrées dans les personnages et/ou l’univers que ça n’aurait pas de sens d’essayer de les transformer. Mais quand c’est bien fait, ma foi, comme tu le dis ça doit être plus de travail que d’écrire une originale dès le départ.
Oh que oui ! Je n’ose même pas imaginer mais j’ai multiplié plusieurs fois le temps passé à l’écriture initiale lors de ce travail de réécriture, déjà. Ça, c’est clair. 🙂